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Quelques commentaires sur le dossier Striani vs UEFA (FPF)

Publié le lundi 29 juin 2015 à 10:44 par Philippe Goguet
Le tribunal de Bruxelles a rendu un premier verdict il y a peu dans une des plaintes concernant le fair-play financier, celle de l'agent de joueurs Daniel Striani. Nous nous sommes procurés une copie du jugement afin de le commenter de façon plus approfondie, en voici le résultat.

Il ne sera pas ici question de débattre de la pertinence sportive, ou même juridique, du fair-play financier, mais de rendre compte des aspects procéduraux d’un des recours actuels contre ce processus, à savoir la procédure introduite devant le Tribunal de Première Instance de Bruxelles par l’agent de joueurs belge Daniel Striani, via son avocat J.L Dupont. 

Nous avons pu nous procurer une copie du jugement rendu dans cette affaire le 29 mai 2015 dont les dispositions les plus « médiatiques » ont été déjà divulguées.

On savait déjà que le tribunal avait saisi la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) de trois questions préjudicielles :

- Les restrictions au droit de la concurrence générées par le FPF (limitation du droit d’investir) sont-elles, dans le contexte conformes aux articles 101 du Traité sur le Fonctionnement de l'Union Européenne (TFUE) ou à l’article 102 TFUE ?
- Les entraves à la libre circulation (capitaux, services, travailleurs) générées par le FPF sont-elles, toujours dans le contexte, contraires aux articles 63, 56 et 45 TFUE (ainsi qu’aux articles 15 et 16 de la Charte des droits fondamentaux de l’UE) et sont-elles proportionnées à l’objectif ?
- Au regard des règles communautaires ci-dessus, les articles 65 et 66 du règlement UEFA sur l’octroi de licences aux clubs et le fair-play financier, violent-elles ces dispositions en ce que la règle UEFA serait disproportionnée et/ou discriminatoire, dans la mesure où elle favorise le paiement de certains créanciers et corrélativement défavorise le paiement des créanciers non protégés, notamment les agents de joueurs ?

Par ailleurs, le Tribunal a décidé de suspendre l’application de la phase 2 du FPF (passage d’un déficit toléré de 45 millions d’euros à 30 millions) dans l’attente de la réponse de la Cour de justice européenne.
A noter que le Tribunal demande à la Cour de justice européenne de statuer dans le cadre de la procédure accélérée prévue par son règlement de procédure.

Même si l’UEFA a annoncé sa décision de frapper ce jugement d’appel, son analyse de détail est intéressante car il aborde toutes les problématiques procédurales que soulèvent ces recours. En outre, ses dispositions connues ne sont que la partie visible de l’iceberg, le jugement contenant d’autres dispositions qui méritent une lecture plus complète.

Un agent de joueurs, demandeur initial…

Ce procès a été lancé initialement par Daniel Striani, suivant une citation délivrée à l’UEFA le 24 juin 2013 dans laquelle il demandait au Tribunal de juger que le FPF viole les principes communautaires de libre concurrence (article 101 du traité) et de lui allouer en conséquence une somme de 1 euro provisionnel en réparation du préjudice subi.
Il demandait le cas échéant au Tribunal de saisir la Cour de justice de l’Union Européenne (CJUE) de demandes préjudicielles afin qu’elle donne son avis sur la légalité des restrictions générées par le FPF en matière de concurrence et de circulation des capitaux et travailleurs.

Plus tard, D. Striani allait compléter ses demandes en sollicitant des dommages-intérêts de soixante neuf mille et quelques euros par an depuis l’entrée en vigueur du FPF et jusqu’à sa cessation.

Enfin, D. Striani demandait à ce que la seconde phase du FPF (30 millions de déficit accepté au lieu de 45) soit suspendue pendant le temps de la procédure.

Le 9 mai 2014, D. Striani étendait son procès à la Fédération belge de Football.

…et des supporters « consommateurs » intervenants à ses côtés

En juillet 2014, des supporters du PSG et de Manchester City intervenaient volontairement à cette procédure pour soutenir l’action de D. Striani, suivis par d’autres en août 2014, octobre 2014 et novembre 2014.

La particularité de cette intervention volontaire est l’officialisation du glissement d’un supportérisme « communautaire » vers un supportérisme « consommateur ».

Ce sont les supporters eux-mêmes qui le revendiquent dans le cadre de leur intervention lorsque, au moment d’en justifier la recevabilité, ils se qualifient ainsi : « ils sont les consommateurs du ‘’produit football’’ et (…) les règles FPF aboutissent à une augmentation du prix de ce produit et à une baisse de sa qualité »

Il est loin le temps où les recours juridictionnels de supporters du PSG avaient pour objet la contestation d’interdictions de stade ou de déplacement… Le débat sur « qui est un pseudo-supporter ? » n’a donc pas fini de faire rage… mais hors des prétoires.

D’ailleurs, l’histoire ne dit pas de quelle façon les supporters intervenants dans cette procédure ont justifié d’une telle qualité : par leurs cartes d’abonnés ? Par une photo en maillot ? Ou en compagnie de Germain le lynx ?

Mais trêve de mauvais esprit, citons les derniers membres du casting : au rang des opposants aux FPF, l’agent de joueurs Mitrovic intervenait dans la procédure en août 2014 et un club belge de 2ème division, le RFC SERESIEN en fevrier 2015.

De l’autre côté, donc, se trouvaient l’UEFA et la Fédération belge de Football.

La bonne juridiction ?

La première question que le Tribunal a été amené à examiner, à la demande de l’UEFA, était de déterminer si les agents n’avaient pas l’obligation de porter le litige devant le Tribunal Arbitral du Sport (TAS) en vertu des statuts de la FIFA, de l’UEFA et du règlement des agents de joueurs de la FIFA.
Le Tribunal a rejeté cet argument en estimant d’une part que le règlement de la FIFA ne peut créer d’obligations vis-à-vis des tiers que sont les agents et d’autre part que le règlement des agents de joueurs, en sa version signée par Striani, ne comportait pas encore la clause désignant le TAS comme juridiction à saisir.

La seconde question était de savoir si un tribunal belge était territorialement compétent pour examiner une action contre l’UEFA qui est une association de droit suisse.

A cette question, le tribunal répond par la négative en faisant une application évidente de la convention de Lugano en vertu de laquelle les demandes au fond ne pourront être examinées que par les juridictions suisses.

Cependant, le tribunal va prendre une décision extrêmement étrange puisque, alors qu’il estime, à raison, que l’examen du recours sur le fond échappe à sa compétence territoriale, il va tout de même s’estimer compétent pour ordonner les mesures provisoires réclamées par M. Striani, à savoir la suspension du FPF phase 2 pendant le temps de la procédure…

Mais quelle procédure ? Quelle est la pertinence de l’édiction de telles mesures provisoires de la part d’un tribunal qui dans la même décision annonce qu’il n’examinera pas le fond ? Cette décision étonne.

Une recevabilité partiellement jugée

Alors que la dénégation de sa compétence territoriale par le Tribunal aurait logiquement du l’amener à en rester là, il a tout de même examiné l’argument de l’UEFA selon laquelle le recours des agents de joueurs était irrecevable en raison du caractère hypothétique de leur préjudice.

Ces derniers estimaient au contraire, citant une étude, que le FPF, en vitesse de croisière, réduirait le ratio salaires/ chiffre d’affaires de 15%, avec les effets que l’on devine sur le revenu des agents.

Rappelons que l’appréciation de la recevabilité d’un recours est quasiment sans lien avec le bienfondé de ce dernier et que le fait de se questionner sur cette dernière ne fait pas de vous un suppôt de l’UEFA.
L’appréciation de la recevabilité d’un recours consiste uniquement à examiner si la situation dont se plaint le demandeur a véritablement un effet sur ce dernier, indépendamment de sa légalité sur le fond.

Le tribunal a validé la thèse des agents et les a jugés recevables à agir. 

Sans juger de la pertinence de cette décision, on peut au moins relever qu’elle semble contradictoire avec les motifs énoncés par le tribunal pour décliner sa compétence territoriale.
En effet, alors qu’il s’agissait de déterminer si les agents subissaient un préjudice sur le territoire belge (avec l’effet de rendre le tribunal territorialement compétent), la juridiction avait alors expressément estimé :

« Que la lecture de l’article 1- champ d’application- du règlement litigieux fait clairement apparaître que ledit règlement concerne ‘’toutes les parties, impliquées dans la procédure d’octroi de licence aux clubs de l’UEFA’’ et ‘’dans la procédure de surveillance des clubs de l’UEFA’’, ainsi que ‘’les bénéficiaires de la licence qui se qualifient pour les compétitions interclub de l’UEFA’’ c'est-à-dire les clubs eux-mêmes.

Que ni les joueurs, ni les agents de joueurs ne sont donc visés.

Que par conséquent, le préjudice que pourraient en subir les joueurs ne peut être qu’indirect, et celui des agents de joueurs en quelque sorte ‘’doublement’’ indirect. »

Donc de deux choses l’une : soit le tribunal estime qu’un préjudice « doublement indirect » (sic) suffit à légitimer l’action des agents, soit il tenait mordicus à saisir la CJUE de ses questions préjudicielles…

Mais les interrogations posées par l’appréciation de la recevabilité ne s’arrêtent pas là puisqu’à la lecture du jugement, le cas des supporters n’a même pas été évoqué !

Cette omission ne tient pas à leur qualité de simples intervenants volontaires, puisque telle était également la qualité de M. Mitrovic, ce qui n’a pas empêché le tribunal d’examiner sa recevabilité…

Il aurait pourtant été appréciable de lire les considérations du juge à ce propos, car si les agents ne justifient que d’un préjudice « doublement indirect », que dire alors des supporters ?

Cependant, on constate que dans la partie « dispositif » du jugement (la dernière partie dans laquelle il énonce expressément les décisions prises), le tribunal indique qu’il « déclare recevable la demande originaire » (celle de Striani) : est-ce à dire qu’il juge a contrario les autres intervenants irrecevables ? Frustant décidément…

Un jugement au goût procédural d’inachevé

En mettant de côté l’appel de l’UEFA qui fait que rien de ce qu’a jugé le tribunal ne sera appliqué dans l’immédiat, ce jugement est une réelle satisfaction pour les opposants au FPF.
Il confirme en effet à ceux qui en doutaient encore que le questionnement sur la validité du FPF au regard des règles communautaires est effectif et qu’il sera, à un moment ou un autre, examiné par la CJUE.

En revanche, ce jugement apparaît porteur de certaines incohérences qui sont autant de munitions données à  l’UEFA pour le critiquer vertement devant la Cour d’appel.

Pour autant, le considèrera-t-elle comme un coup de semonce au moment d’édicter de nouveaux ajustements du FPF ou persistera-t-elle dans sa politique restrictive et légèrement jusqu’au-boutiste vis-à-vis du PSG ? Réponse dans les heures qui viennent…

AK


Vous pouvez retrouver les commentaires de l'article sous les publicités.

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