Sur le banc parisien de l’été 2003 à février 2005 et impérial lors des Classiques sur cette période (5 matches, 5 victoires), Vahid Halilhodžić a connu une histoire mouvementée dans la capitale. CulturePSG a pu échanger avec lui cette semaine à propos du Classique, de son passage dans la capitale, de l'équipe actuelle ou encore de son ancien joueur Randal Kolo Muani.
Ses PSG/OM
Comment abordiez-vous les Classiques quand vous étiez entraîneur du PSG ?
« Quand tu gagnais, tu étais tranquille pour un bon moment »
« Avec la rivalité très forte qui existait entre les deux équipes, c'était toujours un match à part, pour lequel je mettais surtout l'accent sur la préparation psychologique de l'équipe. Il fallait rester calme et ne pas tomber dans le piège de la provocation pour jouer notre jeu. Surtout au Vélodrome, où l'atmosphère était particulière, avec le public et les joueurs adverses qui essayaient de nous intimider. Donc on devait d'abord être prêt mentalement. C'était le match que tout le monde attendait et notamment nos supporters. Quand tu gagnais, tu étais tranquille pour un bon moment. J'ai eu le bonheur de battre à chaque fois Marseille, dont trois victoires là-bas. Ce n'est pas rien. »
Parmi vos cinq succès contre l'OM, lequel vous a le plus marqué ?
« Notre victoire au Vélodrome avec les applaudissements du public marseillais à la fin. Je pense qu'il s'agit du match de Coupe de la Ligue, avec un doublé de Boskovic et le troisième but de Bernard Mendy (ndlr : victoire 3-2 le 10 novembre 2004). J'avais dû aligner une équipe bis, car c'était quelques jours après un autre Classique en championnat (victoire 2-1 au Parc le 6 novembre 2004). Et de son côté, l'OM avait une belle équipe sur le papier. Sur le moment, j'avais trouvé ça étrange d'être applaudi par notre grand rival. J'étais un peu choqué. Mais ce moment particulier est resté gravé dans ma mémoire. »
Trouvez-vous que le Classique a perdu de son intérêt aujourd'hui ?
« Le PSG est désormais quasiment intouchable pour l'OM »
« Forcément. Même s'il reste encore un petit peu ce parfum que j'ai connu, cette tension sur le terrain, Paris est aujourd'hui tellement dominant - on parle d'une des meilleurs équipes d'Europe - que la rivalité entre les deux clubs est moins présente qu'avant. Le PSG est désormais quasiment intouchable pour l'OM. »
Son passage sur le banc du PSG (2003-2005)
Vingt ans après, que retenez-vous de votre passage sur le banc parisien ?
« J'ai encore pu m'en rendre compte la semaine dernière, où j'étais à Paris... les supporters ne m'ont pas oublié. La première année (2003-2004), on était vraiment tout proche de faire le doublé (2e en championnat et vainqueur de la Coupe de France). C'était une grande performance de l'équipe. Car à cette époque, le PSG traversait une période très difficile économiquement. Le budget était alors dix fois inférieur à celui d'aujourd'hui. Et le propriétaire et actionnaire principal Canal + voulait absolument se débarrasser du club. C'est pour ça que mon départ s'est fait dans des conditions un peu particulières. Certains lobbys qui étaient intéressés par le rachat du PSG ont tout fait pour déstabiliser le club, avec notamment des déclarations à droite et à gauche. Ce feuilleton médiatique a été difficile à vivre, sachant que le club n'avait aucun contrôle sur toutes les manipulations qu'il pouvait y avoir autour. »
A votre arrivée à l'été 2003, Ronaldinho faisait-il partie de vos plans, avant qu'il soit transféré au Barça pour 30 millions d'euros ?
« Je pensais pouvoir compter sur Ronaldinho et construire quelque chose autour de lui »
« Oui, je pensais pouvoir compter sur Ronnie et construire quelque chose autour de lui. C'est ce que j'avais préparé et j'ai toujours un peu de mal à accepter ce qui s'est passé. Le président Francis Graille m'avait dit que si c'était mon souhait, il resterait. Finalement, il est revenu vers moi pour me dire que le club m'avait pas les moyens de le conserver (NDLR : le PSG devait débourser 19 millions d'euros pour récupérer les droits du joueur). J'étais très en colère, car je rêvais d'associer Ronaldinho et Pauleta. Le PSG sortait d'une saison difficile (11e en championnat) et Ronnie aussi. J'ai tout essayé en lui disant : « Reste encore un an avec nous et tu vaudras beaucoup plus cher... », mais c'était impossible. Il a donc fallu reconstruire l'équipe sans lui et heureusement la première année a été excellente. »
Après cet exercice 2003-2004 couronné de succès, les choses se sont gâtées la saison suivante sportivement et en coulisses, jusqu'à votre licenciement pour faute grave en février 2005. Que s'est-il passé ?
« La deuxième année, certains journalistes sont tombés dans le piège des lobbys qui cherchaient à déstabiliser le club. A un moment donné, j'ai même dû interdire à deux d'entre eux l'accès au Camp des Loges. Ils m'attaquaient sans arrêt dans leurs journaux et ils s'en prenaient aussi aux joueurs et au club. Pour ceux qui géraient la communication du groupe Canal +, c'est devenu trop problématique et ça s'est mal terminé pour moi. Certains politiques bien placés ont également usé de leur influence pour m'évincer.
« La manière dont ça s'est fini m'est restée longtemps en travers de la gorge »
Alors qu'on était pourtant amis, Francis Graille ne m'a jamais parlé de tout ça. Donc je n'ai rien vu venir et je n'ai pas du tout compris. Il m'a juste confié une fois : « Tu sais Vahid, on est tombé dans un guet-apens ! Des gens ont vraiment tout fait pour faire exploser le club et c'est pour ça que je t'ai sacrifié. » La manière dont ça s'est fini m'est restée longtemps en travers de la gorge, puisque je n'ai même pas été indemnisé par le PSG (NDLR : après avoir fait condamné le club à lui verser des indemnités pour licenciement abusif, il a ensuite perdu son procès contre le PSG). C'est jamais agréable pour moi d'en parler. »
Le nom de Jérôme Rothen est souvent associé aux fameuses taupes du vestiaire qui auraient alimenté les journaux auxquels vous faites référence. Est-ce que vous confirmez ?
« Tout ce que je peux vous dire, c'est que deux joueurs donnaient des informations à la presse. L'un à L'Equipe et l'autre au Parisien. Et que ça a fait éclater le vestiaire que des personnes puissent faire fuiter des choses de l'intérieur. L'ambiance était très malsaine. C’était vraiment désolant. Mais aujourd'hui, ça ne vaut pas la peine de les nommer. Car ce qu'ils ont fait, c'est franchement dégueulasse. Pour moi, mais aussi pour l'équipe, d'être trahi de la sorte... A mes yeux, l'intimité du vestiaire, c'est sacré. Rien ne doit en sortir et personne de l’extérieur ne doit pouvoir y entrer. Hormis le président, je n'ai jamais permis à une personne extérieure au groupe d'accéder au vestiaire. Même pas le propriétaire... »
Coach Vahid de retour au Parc des Princes avec Nantes en avril 2019
Le PSG de Luis Enrique
Revenons au présent. Vous retrouvez-vous dans la manière dont Luis Enrique gère son groupe ?
« C'est la première fois depuis pas mal d'années que je vois le PSG évoluer comme un vrai collectif »
« Ma philosophie a toujours été qu'aucun joueur ne peut être au-dessus du club ou de l'équipe. Avec des joueurs d’exception comme Kylian, Neymar et Messi, ça faisait beaucoup de qualité individuelle, mais aussi sans doute trop d'ego et pas assez de sens du sacrifice pour que l'équipe puisse vraiment jouer ensemble. C'est la première fois depuis pas mal d'années que je vois le PSG évoluer comme un vrai collectif. Je trouve que Luis Enrique gère bien son groupe et notamment Kylian. Même s'il s'agit du meilleur joueur du monde, il ne doit pas être plus important que l'équipe. »
Que pensez-vous du projet sur le long terme qui se dessine au PSG sans Kylian Mbappé ?
« Cette saison est peut-être une des dernières avant un petit moment où le PSG peut aller au bout en Ligue des Champions »
« Je trouve très intéressant de s'appuyer sur des jeunes talents et une approche plus collective pour l'avenir, mais faire sans Kylian sera très compliqué. On l'a vu encore lors du retour face à la Real Sociedad, à quel point il a cette capacité à faire basculer les grands matches. C'est pourquoi cette saison est peut-être une des dernières avant un petit moment où le PSG peut aller au bout en Ligue des Champions. Ils devront être bien préparés psychologiquement. Je trouve qu'on parle un peu trop de la situation de Kylian ces derniers temps et que ça peut déstabiliser le groupe. L'entraîneur, lui, sait à quoi s'en tenir pour la saison prochaine. Donc il fera tous les choix qui s’imposent pour jouer cette chance-là à fond. Pour moi, le seul vrai concurrent pour Paris est Manchester City. Face au Barça, ils seront favoris. Même si bien sûr, en Ligue des Champions, c'est toujours spécial. »
Quels joueurs actuels représentent pour vous l'avenir ?
« Je suis obligé de citer Warren (Zaïre-Emery) que j'ai vraiment découvert cette saison. Je suis tellement épaté par ce qu'il arrive à produire à seulement 18 ans. Quelle maturité, quel volume de jeu ! C'est vraiment impressionnant. J'aime beaucoup aussi ce que proposent offensivement des garçons comme Barcola et Dembélé. »
Kolo Muani, son ancien joueur
Vous qui avez connu Randal Kolo Muani à Nantes (en 2018-2019), que vous inspire les difficultés qu'il rencontre dans la capitale ?
« Je pense que Kolo Muani a besoin d'un temps d'adaptation plus important que les autres »
« Pour l'avoir côtoyé, c'est quelqu'un d'un petit peu timide et renfermé et je pense qu'il a besoin d'un temps d'adaptation plus important que les autres pour être à l'aise dans un groupe aussi étoffé que celui du PSG. Il doit avant tout retrouver la confiance qu'il avait Francfort, dans un contexte aujourd'hui complètement différent, puisqu'il n'est plus l'attaquant numéro un de l'équipe. Il a une concurrence énorme et pour s'imposer, il faut qu'il travaille beaucoup sur l'aspect mental. Le staff technique a un rôle à jouer pour l'aider à jouer plus libéré. »
Il a brillé mardi sur l'aile droite avec les Bleus. Pour vous, doit-il évoluer dans l'axe ou sur un côté ?
« C'est un joueur qui a surtout besoin d'espaces pour exprimer tout son potentiel. Quand il évolue sur le côté, le jeu est plus ouvert pour lui et il peut davantage exploiter ses qualités de vitesse et de perforation. Lui demander de jouer dans l'axe, ce n'est pas la même chose. Il faut savoir se placer dans la surface, se faire oublier avec des faux appels, presser la relance... Et évoluer dos au but, ce n'est pas son jeu. »
Avec le possible forfait de Barcola, Kolo Muani et Ramos pourraient se disputer une place en attaque lors du tant attendu PSG-Barça. Qui voyez-vous débuter ?
« Même si je le connais moins, peut-être que Ramos apporterait plus de garanties comme avant-centre, car c'est un poste qu'il maîtrise parfaitement. Alors que Randal pourrait trouver des espaces sur les côtés pour faire mal à Barcelone sur les récupérations hautes et les transitions rapides. Donc tout dépendra de l'animation offensive que voudra mettre en place Luis Enrique. Les choix tactiques dépendent souvent de l'adversaire. Il n'est pas certain qu'il opte pour la même approche à l'aller et au retour, que ce soit avec et sans ballon. Dans le football moderne, ce sont les petits détails qui font la différence pour ce genre de match. Il faudra jouer sur les qualités du PSG et les défauts du Barça. »
Propos recueillis par Numéro 10.