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Discipline, méritocratie, son rôle, etc, la 3e partie des confessions de Jésus Pérez, l'adjoint de Pochettino

Publié le vendredi 21 janvier 2022 à 23:05 par Fouzia
Dans le podcast Ezen Inside spécialisé dans les sciences du sport, Jesús Pérez, l'entraîneur adjoint de Mauricio Pochettino du PSG, s’est longuement confié sur son quotidien au PSG ; dans un échange d’une heure avec son confrère Alex De La Vega, préparateur physique de la sélection espagnole de basket. Dans cette troisième et dernière partie, il est notamment revenu sur la discipline, la méritocratie, le rôle d'adjoint et les frustrations.

Les deux premières parties de l'entretien sont disponibles ici :

Ça me fait penser à l’actualité de Xavi avec son règlement. Les médias se sont emballés en mode “Enfin des règles, c’était n'importe quoi avant” alors que lui-même a déclaré pendant sa conférence : “Quand on avait des règles, ça se passait bien. Quand il n'y en avait pas, ça ne se passait pas mal”. Définir un règlement ne veut pas dire jouer au flic ou au dictateur. Ça veut juste dire partager des règles que tout le monde respecte. On était en train de parler de flexibilité et de respect de la culture de travail d’un joueur ou de son entourage, et j’étais complètement d’accord avec ça. Après, c’est aussi typique de l’être humain quand tu lui offres un doigt, de vouloir prendre le bras. Tu en penses quoi ?

« Je pense que c'est quelque chose de très personnel et qui dépend de la personne qui dirige. Il existe différentes manières de diriger un groupe. Il y a des gens qui ont besoin d'un règlement intérieur pour le faire. Nous, par exemple, nous n'avons pas de règlement intérieur. Mauricio ne croit pas aux règles, il ne croit pas aux amendes. Au contraire, il croit au respect mutuel, même si ça n'empêche pas de rencontrer des petits problèmes. Si on dit qu’on commence à 10h30, on commence à 10h30. Parfois, on doit attendre quelqu’un deux minutes, mais pourquoi mettre une règle ?

Parfois certains vont dire : si la causerie d’avant le match est à 10h30, et qu’un joueur n’est pas à l’heure alors il ne jouera pas. Ou si un joueur arrive en retard à la mise au vert, il ne jouera pas. Mais je pose maintenant la question : tu fais quoi si les trois joueurs les plus importants de ton équipe viennent ensemble en voiture à la mise au vert, qu’ils rencontrent un problème ou qu’ils se perdent, et qu’ils arrivent en retard ? Tu vas leur appliquer la même règle qu’aux autres, ou c’est plus facile de faire ça aux autres qu’à eux ? Moi non plus je ne crois pas que ce genre de discipline soit bénéfique pour qui que ce soit. »

Le traitement équitable n’est pas de traiter tout le monde de manière égale, mais de traiter chacun comme il le mérite. 

« Exactement ! Et puis, il y a aussi un point que nous voyons comme du bon sens : à ce niveau, lorsqu'une organisation embauche tel joueur, seule l'organisation sait pourquoi ils sont arrivés à un accord, et quelles sont les modalités du contrat. Donc un entraîneur ne peut pas arriver après pour imposer une discipline ou une série de règles ; alors qu'il y a peut-être des choses antérieures, beaucoup plus anciennes, qui ont beaucoup plus de poids que tout ce que tu pourras faire. »

C'est le principe de la vie en groupe. Nous, nous n'avons pas ce type de problèmes, les gens respectueux arrivent à l'heure car il ne peut pas en être autrement. C'est une question de respect, de bon sens. Je pense qu'une amende pour un joueur de très haut niveau, avec un tel pouvoir d'achat, ne le rendra pas plus discipliné ou plus respectueux de l’autre. Au contraire, si tu as les moyens de t'acheter à peu près tout, tu peux voir ça comme un défi "bon bah, ça aussi, ça se paye avec de l’argent”.

« Je crois que ce que Xavi voulait dire, c’est que si nous nous mettons tous d'accord sur quelque chose, il est beaucoup plus facile de vivre ensemble, que si chacun a la liberté de faire ce qu'il veut quand il veut. C'est un joueur qui a tellement de matchs à son actif, c'est sûrement à ça qu'il faisait référence. Je pense qu’aujourd’hui, on doit plutôt convaincre qu’imposer. »

Passons à des questions peut-être plus personnelles. Si ton président te dit : “de toutes tes missions, tu ne peux en garder qu’une”, tu choisis laquelle ?

« L'entraînement sur le terrain. »

Maintenant, explique-nous ce qu’est un Sport Scientist ?

« Un Sports Scientist [Technicien du Sport] est une personne avec une connaissance étendue de l'entraînement, qui a la capacité d'entraîner dans n'importe quel environnement, et avec n'importe quels moyens, et qui a le pouvoir et la responsabilité hiérarchique pour influer sur la performance individuelle d'un athlète. »

C’est ce qui te plaît le plus ?

« Je t'ai dit que c’est le terrain, parce que sur le terrain, je peux faire presque tout ce que je sais faire – même pour la musculation, je peux y apporter tout le matériel – parce que je crois que l'entraînement est une question de continuité et qu’il ne s'agit pas de telle ou telle partie. Par exemple, l'entraînement en salle n'est rien de plus qu'une dissection des quatre éléments qu’il faut travailler avec un joueur : la course, le saut, le duel, la frappe/le lancer. Et ensuite, tu peux associer un ou plusieurs joueurs pour commencer à introduire les éléments tactiques. Du plus petit espace d'interaction au plus grand, on entre déjà dans des microstructures au sein du groupe. Donc sur le terrain, il est possible de faire presque tout. La seule chose que la technologie t’apporte, c’est de pouvoir affiner encore davantage les niveaux de progression. »

Bon, si je dépasse les limites, tu sais que tu as un "bouton panique" pour m'arrêter si tu le souhaites (rires) mais je voulais te demander de raconter une erreur que tu as commise, quelque chose que tu as mal fait ou mal dit ; et qui pourrait aider les jeunes confrères qui écoutent notre podcast. Les statistiques montrent que beaucoup ont entre 25 et 31 ans, donc qu'ils ont moins d'expérience et font probablement des erreurs. 

« Il y a une erreur que je continue de faire de temps en temps, parce que c'est dur pour moi, c'est dur pour moi de l'accepter. Nous qui sommes très proches des joueurs, qui dirigeons beaucoup d'entraînements sur le terrain, qui sommes impliqués dans tout le processus d'entraînement, nous connaissons le joueur de très près, et parfois nous dépassons le cadre de l'entraînement pour le juger. Nous commençons à parler de méritocratie, de tel joueur qui fait des efforts, qui s’implique, qui mérite, de tel autre qui est moins impliqué, qui n’est pas bien pendant deux jours, etc.

« Autrement dit, il y a des joueurs qui vont jouer alors que pour des raisons de méritocratie, tu as envie de dire “euh… pour ce joueur non”. »

Et quand arrive le moment de faire la composition, de choisir ceux qui vont jouer, tu fais partie du processus de décision de l’entraîneur, et dans mon cas, j’ai beaucoup de poids en tant que membre du staff technique. Et donc parfois je n’y arrive pas, ou bien ça m’énerve de devoir être objectif dans la composition, pour choisir ce dont l’équipe a besoin pour gagner, et pas te baser sur ce que tu as ressenti pendant la semaine à propos de tel ou tel joueur, même si c’est parfois lié. Autrement dit, il y a des joueurs qui vont jouer alors que pour des raisons de méritocratie, tu as envie de dire “euh… pour ce joueur non”. Ça m'est passé. Ça m’est passé de dire, "Mauricio, ce joueur cette semaine… non, s'il te plaît”.

À la limite, le lundi, mardi, mercredi et jusqu’au jeudi, tu peux être dans cette dynamique. Mais quand le match se rapproche, je dis souvent que nous, les assistants, pouvons discorder la semaine mais devons soutenir (le coach) le week-end. Quand la décision est prise, tu dois soutenir l’entraîneur même si tu vois les choses différemment, et que tu aimerais dire “on devrait plutôt faire ça, tel plan de jeu, choisir tel joueur plutôt que tel autre…”. Je parle de l'aspect micro bien sûr. Mais les entraîneurs ont besoin de leurs assistants et une fois que la décision est prise, ce n’est plus le moment de contester mais de soutenir et d’aller de l’avant. Ensuite, le résultat sera ce qu’il sera. 

« Parfois, les joueurs se reposent pendant la séance d'entraînement et c’est injuste de les juger parce c’est beaucoup plus compliqué que ça »

Je me souviens d'un week-end où j’avais dit "non, pas ce joueur, pas ce joueur", le match commence et au bout de trois minutes, Mauricio me touche et me dit "comment tu avais raison !” mais après ça va, ça vient, et à la fin on gagne le match, et voilà. Mais parfois, c'est difficile pour moi, parce que ce n’est pas exactement la réalité. C'est ce qu’on disait tout à l’heure, parfois (les joueurs) se reposent pendant la séance d'entraînement et c’est injuste de les juger parce c’est beaucoup plus compliqué que ça. C'est une erreur que je répète souvent et pourtant je suis plus âgé. »

Ce que tu viens de me dire m'est arrivé l'année dernière à un match. Je me lève du banc et je dis au deuxième entraîneur Laura, mais ensuite aussi à l'entraîneur principal : “il faut sortir Sonja sinon on va perdre le match”. Sonja Vasic, qui est une excellente joueuse, internationale, a tout gagné, a joué en WNBA. Elle a pris sa retraite depuis. On m'ignore et puis dans le dernier quart temps : “bim, bam, elle est partout, faute, lancer-franc, passe décisif, rebond, triple”. Et moi j'étais là "euh, bah, euh...", je ne disais plus rien. C’était une joueuse qui, à ce moment-là, n'était pas physiquement à son meilleur niveau, elle était même loin de son meilleur niveau ; et donc elle autogérait ses efforts pour pouvoir atteindre le dernier quart, et décider de refaire surface comme font les plus grands joueurs. C'est pour ça que c’est une erreur qui me parle (rires).

« C'est pour ça que je pense souvent aux assistants qui deviennent entraîneur principal et qui doivent se détacher de ça, après avoir été longtemps été entraîneur adjoint ou préparateur physique, ou les deux à la fois. Ils doivent se détacher de cette idée de méritocratie que nous pouvons revendiquer à notre poste [d’assistants] et utiliser pour pousser le joueur jusqu’à une certaine limite, en sachant que ça peut créer des conflits ; mais qui doit disparaître ensuite parce qu’en tant qu’entraîneur principal, ça ne te mènera nulle part.  

Pour certains confrères qui font cette transition pour devenir entraîneur principal, c'est le plus grand obstacle qu'ils rencontrent. Ils ont besoin de tout faire eux-mêmes et s'ils ne le font pas, ils ont l’impression que ce n’est pas assez bien parce qu’ils repensent à ce qu’ils ressentaient lorsqu'ils étaient assistants, et qu’il n’arrivent pas à se défaire de cette idée de méritocratie, et l’idée d’objectivité dont tu parlais : un joueur ultra talentueux qui est peut-être en train de s’économiser, même si ça ne se voit pas, et qui au moment fatidique sera au rendez-vous pour mettre le coup final alors qu’un autre, non. »

C'est dans ces cas-là que le costume d’entraîneur pèse une tonne. Toi, tu as déjà été entraîneur principal ? 

« Non, enfin, seulement à mes débuts, quand j’ai entraîné l’équipe régionale et l’équipe B du Nástic de Tarragona. J'ai commencé à m'entraîner en combinant des exercices. Dès ma formation, j’ai toujours pensé que je devais apprendre à faire différentes choses et puis à 22-23 ans, tu ne peux pas dire “je veux être ceci ou cela”, non. Je voulais évoluer professionnellement dans le milieu du football et faire ce qui me plaisait. 

Le jeu a toujours été ma grande préoccupation, l'entraînement ma passion. Puis les deux choses se sont mélangées : le sport d'équipe était mon monde mais le sport individuel était mon école. Durant ma formation, j'ai travaillé et entraîné des nageurs quand j'étais encore très jeune. Cela m'a toujours aidé à ne jamais oublier que l’entraînement, le développement individuel, sera toujours fondamental pour te maintenir dans un groupe. C'est comme ça que je me suis forgé. 

Et concernant le fait de devenir entraîneur principal, à mon niveau actuel, avec les responsabilités que j'ai, et tout ce que je peux mettre en œuvre au quotidien ou la semaine, il ne me manque que la composition d’équipe et tous les retours qui vont avec. Ce n’est pas une chose à laquelle je pense, non. »

Mais je t'ai déjà vu en conférence de presse à côté de Mauricio, non ?

« Je travaille aussi à la préparation de sa communication, pré et post conférence 

« Oui, pendant mon passage en Angleterre. À toutes les conférences de presse, j'étais assis à côté de Mauricio, non pas parce que je devais traduire, mais simplement comme soutien et au cas où, pour l’anglais... En France, comme je ne parle pas français – je commence tout juste à le comprendre et à baragouiner un peu – c’est un collègue du staff technique qui parle très bien français, qui est à ses côtés et qui traduit pour lui. Mais en Angleterre, il se débrouillait très bien avec l’anglais. Pendant les conférences de presse en France, je suis plutôt assis en face de lui. Je travaille aussi à la préparation de sa communication, pré et post conférence, mais je ne suis pas assis à côté de lui comme en Angleterre. »

J’ai beaucoup aimé cet entretien. Tu t’en es très bien sorti. Pour finir, est-ce que tu veux ajouter quelque chose, soit parce que je n’ai pas posé correctement la question ou soit parce que je ne l’ai pas du tout abordée ?  

« Non, rien de particulier. Je voulais simplement vous remercier pour tout le travail que vous faites, parce que c’est une façon de toucher tellement de confrères qui n’ont peut-être pas de visibilité aujourd’hui, mais qui l'auront un jour, ce n’est qu’une question de temps. 

Je voudrais simplement encourager les gens à poursuivre leurs rêves. Je sais que ça fait un peu cliché parce qu'il faut bien payer les factures, mais je pense qu'il y a une étape sensible de notre métier, je dirais vers la trentaine, où on est tenté de mettre fin à sa carrière et où, quand il n’y a pas de charges familiales et personnelles bloquantes, il faut persévérer et prendre des risques. Parce que si tu as la possibilité de te dédier à ce monde, malgré certains moments qui peuvent paraître désagréables, je pense qu’un jour tu réalises que c’est un privilège. »

Les deux premières parties sont disponibles ici :


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