Annoncé au PSG depuis plus d'un an, Milan Skriniar est finalement devenu un joueur parisien il y a quelques jours à la fin de son contrat avec l'Inter Milan plutôt que via un transfert comme cela a longtemps été imaginé. Alors que le Slovaque de 28 ans a vécu une saison compliquée sur et en dehors du terrain, nous sommes allés interroger Cédric de Canale Inter, journaliste et fan des Nerazzurri, à propos de son désormais ancien joueur. L'occasion de balayer ses points forts et faibles mais aussi toute l'histoire de Skriniar avec la Beneamata.
Comment est vécu le départ de Skriniar à Milan ? On a l’impression que l’indifférence a progressivement gagné les supporters sur cette deuxième partie de saison.
« C’est un départ par la petite porte d’un des joueurs les plus marquants de ces dernières années »
« L’aventure de Milan Skriniar à l’Inter s’est terminée dans l’anonymat le plus complet. Il y a eu un post Instagram de sa part, idem de la part du club, le traditionnel message sur les réseaux pour dire au revoir (puis supprimé le lendemain). C’est un départ par la petite porte d’un des joueurs les plus marquants de ces dernières années. Il est arrivé en 2017 alors que l’Inter n’était même pas en Europe, il a remporté un titre de champion (2021) et vu ses coéquipiers se hisser en finale de Ligue des Champions. Il a grandi en même temps que l’équipe, mais a vécu assis sur le banc le moment le plus marquant, cette finale inattendue à Istanbul.
Détail, l’Inter avait besoin de 60 millions de recettes au 30 juin 2023. Il s’agissait du principal argument incitant à la vente de Skriniar (en janvier). Finalement, le parcours inattendu en Ligue des Champions a couvert le trou, ainsi que les 30 millions non versés par Digitalbits, sponsor principal qui n’a rien payé et a été enlevé des maillots en fin de saison. L’Inter reste dans une situation financière délicate, mais il n’y a pas eu besoin de cette entrée au 30 juin. Brozovic et Onana sur le départ, par exemple, sont des choix pour faire des plus-values sur le bilan 2023/24 et financer le mercato cet été. »
Cette saison a été particulièrement difficile pour lui et est probablement à oublier. Quel bilan fais-tu de cette dernière ? Tu l’imagines revenir à son meilleur niveau ?
« Je pense qu’il reviendra à son niveau. Il ne s’est arrêté de jouer que 3 mois. Il a été opéré, a pris son temps pour la rééducation, a priori aussi suivi par le staff médical du PSG. Et il a joué titulaire les deux matches qualificatifs pour l’Euro 2024 à la mi-juin. Il a pu retrouver quelques sensations.
« Il n’était pas au top physiquement et cet aspect est primordial dans son jeu »
Clairement, il a terminé par sa plus mauvaise saison à l’Inter. Il a eu un problème musculaire en sélection en juin et a commencé la préparation en retard. Ça s’est senti en début de saison. Il n’était pas au top physiquement et cet aspect est primordial dans son jeu. Au-delà de l’aspect psychologique lié à son été entre Paris et Milan, comme toute l’équipe, il a fait des erreurs, semblait manquer de concentration, d’application en septembre. Puis, il s’est repris et début janvier a fait deux gros matches (avec l’aide de Darmian côté droit) face à des clients comme Kvaratskhelia (1-0 contre le Napoli le 4 janvier) et Leao (3-0, cotre le Milan en Supercoppa le 18 janvier).
Puis il y a eu la rupture. Le 23 janvier restera la fin de l’aventure de Milan Skriniar à l’Inter pour moi. L’interview de son agent Roberto Sistici à la TV pendant Inter-Empoli pour annoncer qu’il ne prolongerait pas et au même moment son expulsion (styupide pour deux cartons jaunes en première période) avec le brassard autour du bras… Skriniar s’est muré dans le silence après la sortie de son agent. Il a juste parlé à des responsables de la Curva Nord, le groupe de supporters, pour donner sa version et obtenir une certaine tranquillité. Il était parmi les plus acclamés. Il était devenu un joueur comme les autres les matches suivants.
Il a continué à jouer, puis il s’est arrêté après le match aller contre Porto le 22 février (1-0) pour un problème au dos. Il est revenu sur le banc pour le retour à Porto, jouant 10 minutes (14 mars, 0-0). Puis il a été opéré. Il est revenu dans le groupe début juin, restant sur le banc contre le Torino et Manchester City. L’Inter ne l’a pas vendu en août ni fin janvier principalement par manque d’un remplaçant. Et finalement, il était déjà là. Matteo Darmian a fait mieux que colmater le vide laissé par Skriniar. L’expérimenté défenseur italien, habitué à jouer latéral ou piston, a été excellent comme axial droit et l’Inter a fait deux derniers mois de très haut niveau avec une défense Darmian, Acerbi, Bastoni, alors que depuis la saison du titre, le trio inamovible était Skriniar, de Vrij, Bastoni. Une nouvelle preuve qu’aucun joueur n’est plus important que le club.
Avant cette fracture avec les supporters, Skriniar a aussi été adoré. Comment était-il devenu un personnage attachant ?
« Jusqu’en janvier, Skriniar s’est toujours bien comporté sur le terrain et en dehors »
« Jusqu’en janvier (et après il n’a rien fait de mal car avec le secret médical, on ne sait logiquement rien de sa blessure), Skriniar s’est toujours bien comporté sur le terrain et en dehors. En cette époque où les joueurs passent, il semblait différent, tenir à l’écusson, un peu vieille école, ce qu’en Italie, on appelle une “bandiera” : un drapeau. À la fin de la saison passée, il avait déclaré vouloir faire à l’Inter “comme Hamsik au Napoli”, c'est-à-dire y passer presque toute sa carrière et y être capitaine.
La Curva Nord Milano, le groupe de supporters du virage de l’Inter, a fait une banderole début janvier lui demandant de rester parce que “tu es notre capitaine” (alors que dans les faits il est 4e dans la hiérarchie). Cela montre le lien qu’avait créé le Slovaque au fil des années avec les supporters de l’Inter. Certains ont vu en lui le successeur de Zanetti. Plus que Brozovic ou Barella, il semblait être destiné à prendre la succession de Handanovic comme capitaine. Cette saison, derrière le gardien, c’est à l’ancienneté, donc d’Ambrosio, Brozovic, puis Skriniar. Fin janvier, il a été enlevé de la hiérarchie par les dirigeants. De toute façon, après le rouge contre Empoli, il n’a joué que trois matches comme titulaire début février, puis quelques minutes en mars à Porto où il dit avoir joué blessé.
On peut penser ce que l’on veut de la gestion du cas par Marotta (administrateur délégué) et Zhang (président). Pourquoi ont-ils décidé d’ouvrir la porte à un départ à une certaine somme ? Pourquoi l’ont-ils fermée fin août faute de remplaçant ? Pensaient-ils que le renouvellement serait une formalité ?
« Il y a eu des erreurs d’évaluation et dans le timing. On ne saura jamais si Skriniar a été honnête pendant l’été, car les dirigeants ont dû parler au moins avec son agent. Pensait-il vraiment prolonger, comme il l’a publiquement laissé entendre ? Cette saison à l’Inter, Skriniar s’est seulement exprimé en conférence de presse en septembre avant le match de Champions League contre Plzen. Il avait temporisé et dit une phrase à Mediaset ayant donné de l’espoir aux supporters de l’Inter : “ils me connaissent”.
Sûrement que pour se protéger et protéger le groupe, il a laissé le temps s’écouler, les supporters faire des banderoles lui demandant de rester et par son silence, il a créé les conditions pour laisser croître des (faux) espoirs. Certains se sont sentis trahis et pensent qu’il s’était mis d’accord avec le PSG dès août afin de signer libre en juin 2023 avec une belle prime à la signature.
Mi-juin, en sélection, Skriniar s’est exprimé en conférence de presse et le sujet Inter a été évoqué. Il aurait pu dégager en touche, il a préféré répondre : “À partir du moment où j’ai dit à l’Inter que je n’étais pas d’accord avec leur proposition de renouvellement de contrat, des choses qui n’étaient pas vraies ont commencé à apparaître dans les médias. Ça m’a frappé et c’était dur pour ma famille aussi. Bien sûr, je le comprends, car cela fait partie du travail, mais si quelqu’un prend une décision qui ne plaît pas à quelqu’un, il est immédiatement visé…”
Je ne sais pas s’il parle de la visite à Capbreton ou de l’opération à la clinique du sport de Bordeaux sous le contrôle du docteur du PSG. Ces faits semblent réels et avec l’accord de l’Inter.
« Skriniar aura été un très bon joueur de l’Inter »
Je ne connais pas la vérité. Il ne faut pas balayer le passé, juste le redimensionner à sa juste valeur. Skriniar aura été un très bon joueur de l’Inter. Il est désormais un défenseur du Paris Saint-Germain. Mais les routes de l’Inter et de Milan pourraient se recroiser un jour. Il suffirait d’un clin d’œil du tirage au sort de la prochaine Champions League pour ramener Skriniar à San Siro… »
Ça fait maintenant depuis plusieurs années qu’on le considère dans le gratin des défenseurs de Série A. Est-ce que tu le juges du calibre des très grands défenseurs européens, à l’échelle de la Ligue des Champions ?
« Ce n’est pas Thiago Silva, il n’a pas sa relance, mais en un-contre-un, il est très fort »
« Beaucoup l’ont découvert en mars 2022 contre Liverpool au marquage de Salah en jouant axe gauche, ce qui n’est pas sa zone habituelle. Lors des gros matches de Serie A, il a rarement déçu. Sur la dernière campagne de Ligue des Champions, il avait plutôt bien fait jusqu'aux huitièmes de finale aller. Il a eu 28 ans le 11 février. Pour un défenseur, cela coïncide généralement avec ses meilleures années. La Serie A n’est plus celle des années 90/2000, mais reste un championnat très exigeant tactiquement et Skriniar a cette culture.
Ce n’est pas Thiago Silva, il n’a pas sa relance, mais en un-contre-un, il est très fort. Et puis en 246 matches à l’Inter, il n’a pris que 2 rouges (aucun direct). Il est dur sur l’homme, mais sait habituellement se maîtriser. Ce problème au dos aura été sa seule blessure à l’Inter. Il sortait de 5 saisons entre 40 et 48 matches de club joués à chaque fois. »
En parlant de Skriniar, on évoque souvent une bête physique mais aussi un manque de vitesse. Est-ce que ça a pu se ressentir au plus haut niveau ?
« Son manque de vitesse est sa limite et il a parfois été malmené à cause de ça »
« C’est sa limite et il a parfois été malmené à cause de ça. Il sait anticiper et imposer son physique pour réduire la vitesse de son vis-à-vis. Le derby aller contre Milan (2-3) cette saison fut difficile pour lui par exemple. Leao s’est promené (2 buts). Avec Inzaghi, il a développé un côté plus offensif, avec des montées balle au pied. Ce n’est pas Akanji ou Aké, pour prendre des exemples dans ce rôle. Pour la relance, autre axe où il n’est pas excellent, il laissait le jeu long à ses partenaires comme Bastoni ou directement le gardien Onana. »
En termes de positionnement, où en est-il ? Est-ce que tu l’imagines rejouer dans une défense à quatre (ce qui pourrait bien être le cas au PSG avec Luis Enrique) ?
« Il s’est révélé en Italie dans une défense à 4 à la Sampdoria puis surtout l’Inter de Spalletti (2017-2019). Antonio Conte à son arrivée en 2019 l’a repositionné dans un axe à 3, d’abord à gauche, puis à droite à la place de Godin avec l’explosion de Bastoni. L’adaptation ne fut pas si aisée, parce qu’il manque un peu de vitesse pour gérer la profondeur et la largeur avec un piston haut comme Candreva puis Hakimi (qu’il devrait retrouver au PSG). Mais il a énormément travaillé, notamment tactiquement, pour s’adapter et s’imposer comme une référence à ce poste. Il a aussi dépanné au milieu de la défense à trois où ses qualités en un-contre-un sont intéressantes. En sélection, où il est capitaine, il joue souvent dans une défense à 4, donc il y conserve ses repères. »
Un immense merci à Cédric pour le temps accordé : vous pouvez le suivre sur Twitter et sur le compte de Canale Inter
