Dans un peu plus d’un mois sortira « Rouge et Bleu : 50 ans d’histoire du PSG racontés par ses supporters », co-écrit par le journaliste de Libération Damien Dole et le fondateur de CulturePSG Philippe Goguet. En attendant la publication du livre, nous vous proposons des bonus écrits dans l'esprit de l'ouvrage. Le deuxième est un entretien avec Rémi Gyuru, fondateur du site Histoire du PSG, à propos des meilleurs passeurs décisifs de l'histoire du club.
9 décembre 2001. Le PSG, 5e, se déplace à Saint-Symphorien pour y affronter Metz. Paris mène 1-0, il reste deux minutes à jouer. Six mètres botté par Lionel Letizi, Jay-Jay Okocha laisse la balle rebondir dans le camp adverse et des 30 mètres, d’une demi-volée lumineuse, scelle la victoire parisienne. Ce but, fantastique, représente le seul de l’histoire du PSG amené par une passe décisive d’un gardien.
Au-delà de cette anecdote, la question des passeurs décisifs semble secondaire au regard du classement des buteurs du club ou même du nombre de matches joués. Pourtant, lorsqu’on interroge les supporters - notamment les 60 qui interviennent dans notre ouvrage Rouge et Bleu - sur les joueurs qui les ont le plus marqués, des passeurs magnifiques - Susic, Valdo, Pastore, Verratti… - ressortent souvent dans les réponses, parfois plus en nombre que certains buteurs comme Rocheteau ou Weah. Aussi, sûrement, car les meilleurs passeurs sont quasi-systématiquement d’excellents dribbleurs, dans leur ADN figurant sûrement la construction, par le dribble ou la passe, plutôt que la finition.
Remise de Bravo et demi-volée de Ginola, l'une des passes décisives les plus connues de l'histoire du club.
Pour déterminer les meilleurs dans ce domaine, il y a le ressenti et l’affectif, mais le clinique de la statistique peut permettre de tirer des fils sur ce pan de l’histoire rouge et bleu. Les passes décisives n’ayant été comptabilisées que récemment, il manque un objet officiel. Le site Histoire du PSG a comblé ce manque, officieusement. Après de longs mois de travail et de fouille d’archives diverses et variées, Rémi Gyuru, fondateur du site, a établi un classement des passeurs décisifs du PSG de 1974 à 2020. Il raconte à CulturePSG la genèse de ce projet et les pistes de réflexion qu’il a pu en tirer.
L’officialisation des passes décisives étant assez récente, comment avez-vous réussi à établir votre classement ?
Avant que je ne crée le site, je m’occupais d'une page Histoire du PSG sur Facebook et de différents comptes sur d'autres réseaux sociaux. Des gens me demandaient souvent des informations sur les passeurs décisifs de tel ou tel match. J'étais souvent incapable de répondre car l'officialisation des passes décisives n’intervient pas avant 2007. Et puis cela me manquait à titre personnel, pour le côté histoire globale du club. On connaissait tous des exploits, comme les 5 passes décisives de Safet Susic contre Bastia en 1984 (voir plus bas), mais le reste, très peu. Et je me suis dit : pourquoi pas construire quelque chose, qui ne serait pas officiel mais en tout cas un bon indicateur sur l’histoire des passeurs décisifs du PSG.
On imagine que tu avais très peu de vidéos dans les années 1970 et même 1980… Avec quels matériaux as-tu construit ton classement ?
« Il restait des matches où l'on n’avait presque pas d’éléments, c’était le plus long mais également le plus passionnant »
Des archives, des livres que j’avais, des compte rendus écrits, quelques vidéos et même des dessins de presse… L’INA et surtout les archives de L'Équipe, notamment grâce au journaliste Nathan Franchi, qui m’ont fourni la plupart des comptes rendus qui me manquaient. Et puis il restait des matches où l'on n’avait presque pas d’éléments, c’était le plus long mais également le plus passionnant. Mais je me rends compte qu’il y a plein de trous entre 1970 et 1974. J’ai donc décidé de commencer mon classement après cette période, lorsque le PSG est remonté en Division 1. Cela m’a pris six mois intensifs.
Quels critères as-tu pris pour déterminer le passeur sur les buts où il y en avait ?
Déjà, quand j’ai eu la vidéo, j’ai pris les critères actuels définis par la Ligue. Après, quand sur un compte rendu il y a écrit passe de Susic pour Toko, qui marque, la balle a-t-elle été déviée suffisamment pour qu’il ne soit pas considéré comme le passeur ? Je ne peux pas le dire. C’est ce qui fait que notre classement ne peut pas avoir de caractère officiel. Donc la marge d’erreur, il y en a forcément une. Mais j’ai vraiment passé du temps sur chacun des matches pour les minimiser le plus possible.
En travaillant sur cinquante ans de passeurs décisifs, vous avez pu faire des observations générales sur l’évolution de ce registre du jeu ?
« On a obtenu depuis l’arrivée de QSI des chiffres rarement vus auparavant »
J’ai l’impression que ça augmente avec le temps. On a obtenu depuis l’arrivée de QSI des chiffres rarement vus auparavant. La barre des 15 passes décisives était par exemple dure à atteindre, puis dans les années 2000 et encore plus après, c'est très fréquent. Même Jérémy Menez a pu en faire 15 par saison. Comme ça, de manière empirique, on peut voir plus de passes aériennes, des coups de pied arrêtés plus précis. Mais il faudrait étudier ça plus précisément, et même au-delà du PSG.
Safet Susic trône en haut du classement. Comment l’expliquer et quel genre de passeur décisif était-il ?
C’était le vrai numéro 10, il faisait plutôt des passes en profondeur, dans le jeu, la petite passe entre les lignes, comme a le pu faire plus récemment Pastore. Les plus belles dans le genre on pourrait dire ! Mais la longévité explique aussi sa première place. Nenê a par exemple le même ratio que Susic, mais le premier est resté deux saisons et demi et le second presque dix ans...
Susic pourrait d’ailleurs se faire détrôner par Angel Di Maria, qui n’est plus qu’à 4 passes du Bosniaque…
C’est assez fou. Il faut regarder les ratios de passe décisive par match. Mustapha Dahleb ou Safet Susic, c’est 0.25 par match. Mais Di Maria, c’est 0.39 ! Il y a la classe mondiale de l’Argentin, c’est vrai, mais il faut aussi prendre en compte la qualité du receveur… Rothen, par exemple, a de très bons chiffres, mais il a Pauleta et Hoarau à son prime devant lui. Et Di Maria, lui, il les a données à Ibrahimovic, Cavani, Mbappé, il tire énormément de corners, avec Silva, Marquinhos ou David Luiz à la réception… Tandis que Susic, c’était pour Toko, Boubacar ou Rocheteau, qui étaient évidemment de très beaux joueurs mais pas de la même catégorie ! Et puis il y a la régularité à ce niveau de stats. Susic fait deux énormes saisons dans ce domaine, mais on est plus autour de 10 de moyenne. Tandis que Di Maria, c’est autour de 20 par saison !
Et plus largement, on retrouve trois attaquants actuels - Di Maria, Neymar et Mbappé - très haut dans ce classement…
Les ratios de ces trois joueurs, c’est n’importe quoi ! Et c’est peut-être aussi qu’ils sont ensemble… Mbappé a le même ratio que Di Maria, alors que c’est plutôt un buteur, et il en a déjà presque autant en quantité qu’Ibrahimovic pour 48 matches joués en moins. Mais c’est Neymar qui est le plus impressionnant, il a le plus gros ratio de l’histoire du club, avec 0.45 passe décisive par match. Presque une toutes les deux rencontres, on ne réalise pas ! Donc s’il reste, ses chiffres seront affolants. Car au-dessus de 0.20, c’est déjà du très costaud. Rocheteau ou Verratti, c’est plutôt autour de 0.15 par exemple.
Le trio Neymar/Mbappé/Di Maria qui se congratule face à Nantes le 4 décembre 2019 après un but du Français sur une passe de l'Argentin
On peut être surpris de voir Rai si bas dans le classement, 16e entre Nene et Matuidi, lui qui était si altruiste. Comment expliquez-vous cela ?
Rai était un finisseur mais qui était souvent dans la construction, dans l’avant-dernière passe, comme Verratti ou Thiago Motta par exemple. C’est d’ailleurs un registre du jeu que ce type de classement invisibilise. Contre Chelsea, la passe décisive c’est Di Maria, mais, dans l’esprit, la passe qui est « décisive », la passe clé, c’est celle magnifique de Thiago Motta pour Di Maria, qui n’a plus qu’à la « déposer » pour Ibrahimovic. Mais ce n’est pas comptabilisé. Le passeur décisif, c’est comme le buteur, il ne state jamais tout seul.
Damien Dole et Philippe Goguet.
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