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[Bonus Rouge & Bleu] Dahleb et Susic, un héritage au PSG victime de l'absence d'images

Publié le dimanche 22 novembre 2020 à 19:35 par Damien Dole et Philippe Goguet
Le 2 décembre 2020 sortira « Rouge et Bleu : 50 ans d’histoire du PSG racontés par ses supporters », co-écrit par le journaliste de Libération Damien Dole et le fondateur de CulturePSG Philippe Goguet. En attendant la publication du livre, nous vous proposons des bonus écrits dans l'esprit de l'ouvrage. Le quatrième, centré sur Dahleb (photo) et Sušic, réfléchit à l'impact du faible nombre de matches voire d'extraits disponibles pour les joueurs des deux premières décennies du club, jusqu'à l'arrivée de Canal dans les retransmissions télé de football.

Parc des Princes, le 13 février 1977. Le Paris Saint-Germain accueille une équipe de la région, Fontainebleau, alors en Division 2, pour les 32e de finale de la Coupe de France. Paris mène 1 à 0. Et la première grande star rouge et bleu entre en scène. « Dahleb [est] l’homme du match tant par sa classe que par ses fantaisies, raconte France Football. Peu avant la mi-temps (42e), il brûla toute la défense et seul, à 16 mètres des buts, devant un Montaubin qui accourait vers lui, il piqua la balle mais son lob astucieux retomba sur la transversale. La balle revint en jeu et Piasecki put inscrire - de la tête - le but qui s’était refusé à lui un peu plus tôt.»

Alors le supporter du PSG, et même de foot, n’a envie que d’une chose, voir cette action de ses yeux, comprendre pourquoi un contemporain fut à ce point subjugué. Mais nulle trace de ce match sur le net ou ailleurs, peut-être même qu’aucune caméra ne l’a capté. Et même si Dahleb réalise un quadruplé, cette action qui semble magnifique n’a laissé aucune empreinte statistique dans l’histoire du club. Elle n’existe que dans les souvenirs et quelques écrits.

Les classements de joueurs ou d’équipes d’âges différents sont toujours compliqués. Certains rechignent même à l’exercice, le considérant intrinsèquement comme une aberration. Car comment comparer des joueurs aux postes, coéquipiers ou sensibilités de l’époque différents ? Pour le Paris-SG, deux joueurs semblent souffrir encore plus que les autres du faible nombre de matches disponibles - Safet Sušic - voire de la quasi-absence d’images - Mustapha Dahleb. A l’occasion de notre ouvrage Rouge et Bleu, nous avons fait parler des supporters qui ont vu de leurs yeux ces deux idoles. Tous, alors, les citaient parmi les 10 meilleurs joueurs de l’histoire du club. Le temps ou la nostalgie de leur jeunesse ont-il œuvré ? Ou le talent des Dahleb et Sušic explique-t-il ces cœurs marqués ? Les comptes rendus et les stats semblent valider la deuxième hypothèse.

« Dahleb, à gauche, il faisait ce qu’il voulait. Ça a été notre première vedette, on se reconnaissait en lui à 14/15 ans » 

« Dahleb, c’est mon PSG, celui de mon enfance. Quand il partait tout seul balle au pied, que tout le Parc hurlait "allez Moumouss"… se rappelle Thierry, au Parc depuis le milieu des années 1970. Ses courses chaloupées, ça mettait les étoiles dans les yeux du gamin que j’étais à l’époque. » « Dahleb, ça a été mes premiers gros matches au Parc entre 1976 et 1978, explique Gilles, au Parc lors du match de la montée en 1974. Et à gauche, il faisait ce qu’il voulait. J’ai encore des flashs de lui qui prend la balle, va tout droit et élimine tout le monde, pour faire un bon centre ou une belle frappe. Ça a été notre première vedette, on se reconnaissait en lui à 14/15 ans. »

Jérôme, qui a encore son maillot Sušic, avec le flocage un peu bombé, était dans le même état d’esprit avec le Yougoslave, dix ans plus tard : « Je faisais du foot étant ado, et on rêvait tous d’être numéro 10. Quand t’as 15 ans dans une équipe, c’est "le" numéro ! Donc être fan de Sušic à mon époque, c’était logique finalement. » Au contraire de Thierry, resté fidèle à Dahleb : « Sušic, je n’avais plus cet œil d’enfant quand il est arrivé. Il y avait une part de rêve qui était parti. »

« À cette époque, Dahleb, c’était notre Platini à nous » 

Au-delà de cette vision juvénile, Dahleb et Sušic étaient des joueurs objectivement talentueux. « Je revois Dahleb menant les contre-attaques, distribuant la balle à ses coéquipiers, narre Thierry. Il avait vraiment du ballon, et une aisance corporelle absolument extraordinaire. Il y avait des clameurs dans le stade dès qu’il avait le ballon. » Un talent qui détonnait dans les souvenirs de Thierry, même au regard des autres rouge et bleu brillants de cette époque : « Il y avait un vrai contraste entre la technique de Dahleb et celle de Bianchi par exemple. L’Argentin était un renard des surfaces, mais pas un technicien extraordinaire comparé à Dahleb. Et puis c’était l’homme par qui les attaques étaient construites, le métronome et le maître à jouer du PSG. À cette époque, Dahleb, c’était notre Platini à nous. » 

A 1m10, la chevauchée fantastique de Dahleb qui amène le penalty transformé par M'Pelé et à 4m16, l'action (coupée) qui amène le but de Dahleb. On entend un « quel talent » venu des tribunes :

Sur ce registre, il y eut comme un passage de flambeau entre l’Algérien et le Yougoslave, pourtant différents dans leur rythme de jeu. Arrivé en 1974 de Sedan, Dahleb part dix ans et 98 buts plus tard faire une ultime saison à Nice à l’âge de 32 ans. Sušic, lui, arrive en décembre 1982. « Sušic jouait un peu quand il voulait et était un peu tête de lard mais j’étais fan du joueur et de ses contrôles de l’extérieur du pied », explique Arnaud, présent au Parc lors du match de la montée en 1974 et qui attribue en grande partie le titre de champion en 1986 au Yougoslave. Gilles : « Sušic, quand il est arrivé, on s’est dit : "C’est un extraterrestre ce mec-là." Il faisait ce qu’il voulait avec un ballon. Il aurait sa place dans le 11 titulaire du PSG d'aujourd'hui. »

« Sušic me rappelle un peu Pastore par exemple »

« C’était quelqu’un esthétiquement beau à voir jouer, une classe quand il portait le ballon, complète Jérôme, fidèle du Parc du milieu des années 1980 au milieu des années 1990. Sušic me rappelle un peu Pastore par exemple. Ce n’était pas un foudre de guerre en termes de physique, mais avec ses crochets, ses feintes, c’était suffisant à l’époque. » Une époque qui, dans un autre registre, semblait également correspondre à l’attitude de Dahleb selon Thierry : « Il avait l’air humble, n’avait pas d’excès dans sa façon de jouer ou de célébrer. C’était vraiment un altruiste. Dahleb évoluait dans un PSG "normal", une équipe de foot qui n’était pas encore entrée dans tous ses excès, comme après l’arrivée de Canal. » 

Mais se représenter leur talent lorsque le supporter est né après 1980 relève de la gageure. Sušic profite de l’arrivée explosive de Canal+ dans les droits télé de la Division 1 à la fin de l’année 1984. Malgré tout, combien de ses 344 matches sont disponibles sur le net ou ont été diffusés à la télé récemment ? Y compris un match aussi important que le premier huitième de finale retour de l’histoire du club en Coupe d'Europe, en 1983 (0-0), alors que Gilles se souvient encore de la bonne prestation de Sušic, 37 ans plus tard ? On rêve aussi d’une vidéo compilant les 95 passes qui le font trôner au classement officieux des meilleurs passeurs décisifs rouge et bleu.

Jérôme, carté aux Boys de 1991 à 1996 : « Je n'ai pas de souvenirs de buts ou de matches en particulier de Sušic comme je peux en avoir pour le PSG-Barcelone de 1995 ou le dernier match de Bats en 1992. Je me souviens plus de ses gestes, crochets, roulettes. Je me rappelle juste d’une action précise, son but contre Nantes en 1983 [contrôle parfait, dribble derrière la jambe d’appui, crochet, frappe lumineuse des 25 mètres, N.D.L.R.), qui résume tout le champ de ses possibles. » Les finales de Coupe de France étaient diffusées à la télé, ceci explique cela.

Pour Dahleb, en revanche, l’affaire s’avère encore plus corsée. Presque aucun match disponible avec le maillot parisien, quelques-uns avec celui de l’Algérie. Même les extraits se font rares. Tout juste peut-on apercevoir dans ces derniers l’étendue de sa palette : coup-franc, retourné, percée balle au pied, frappe de loin, rapidité, passeur… Pas suffisamment pour être rassasié et pouvoir traduire par l'image les souvenirs des supporters de l’époque.

La cruauté de cette absence s’abat également sur la relation entre les deux plus grandes stars des vingt premières années du PSG. Lors d’une victoire (4-3) contre Lens en 1983, l’Algérien et le Yougoslave excellent : un coup franc direct et un but de Dahleb ainsi qu’une passe décisive du natif de Bejaïa pour Sušic. Aucun résumé vidéo de cette rencontre ne vient rendre grâce à ces deux artistes parisiens alors que le moindre petit-pont à moitié réussi est aujourd'hui disponible avec trois angles de caméra. Rien n'aura été épargné à Dahleb et Sušic, pas même cette période transitoire où les deux fabuleux numéros 10 faisaient ensemble se lever les supporters parisiens. Restent les coeurs gravés à jamais de ceux qui ont eu la chance de les voir se mouvoir sur le rectangle vert du sud-ouest parisien.

Damien Dole et Philippe Goguet

Tous nos articles à propos de « Rouge et Bleu »  (aux éditions Marabout) sont listés ci-dessous :

Pour rappel, ce livre de 256 pages illustré par plus de 300 photos et 60 témoignages sortira le 2 décembre prochain mais il est déjà disponible en précommande sur les liens suivants :

 


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