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[Bonus Rouge & Bleu] « Clameur », le fanzine mythique des Boulogne Boys raconté de l'intérieur

Publié le dimanche 15 novembre 2020 à 19:21 par Damien Dole et Philippe Goguet
Dans un peu plus d’un mois sortira « Rouge et Bleu : 50 ans d’histoire du PSG racontés par ses supporters », co-écrit par le journaliste de Libération Damien Dole et le fondateur de CulturePSG Philippe Goguet. En attendant la publication du livre, nous vous proposons des bonus écrits dans l'esprit de l'ouvrage. Le troisième est un entretien avec Richard Bouigue, qui a coordonné les numéros du fanzine des Boulogne Boys, Clameur, de 1993 à 1995. Il raconte un pan particulier du mouvement ultra parisien.

De leur création lors de la saison du premier titre de champion du PSG (1985-86) à leur dissolution après la banderole sur les ch’tis en 2008, les Boulogne Boys ont une histoire riche et diverse. Groupe ultra dans une tribune où se côtoyaient lambdas, hooligans et indépendants, les « BB85 » ont introduit de nombreux codes du « mouv' » dans une tifoseria parisienne qui devra attendre la création du Virage Auteuil en 1991 pour recruter en nombre des ultras actifs, par la suite réputés dans l’Europe entière.

Comment raconter cette histoire ? Les acteurs de l’époque sont évidemment la source principale, surtout lorsque la plupart des médias, mainstream ou non, ont multiplié les traitements hasardeux et simplistes sur un monde qu’ils ne connaissaient pas. Le temps a fait son œuvre et un nombre conséquent de journalistes et chercheurs ont depuis délivré une parole plus proche du terrain. Mais quelles sont les sources écrites ? Au-delà de l’indispensable Génération supporter de Philippe Broussard, les fanzines restent une source inestimable. Magazines créés par les groupes, ils sont des témoins essentiels du supporterisme en train de se faire et de se penser. 

Créé à la suite de Boulogne Boys et de KGB, Clameur est l’un des trois fanzines des BB85 et l’un des plus célèbres de toute la tifoseria parisienne. Dans notre ouvrage Rouge & Bleu, 50 ans d'histoire du PSG racontés par ses supporters, nous consacrons trois pages aux fanzines parisiens, bien aidé par le travail de Zines de France, un site et un magazine remarquables sur ce pan essentiel du supportérisme. Aujourd’hui co-directeur de l’Observatoire du sport à la Fondation Jean-Jaurès, Richard Bouigue était aux Boulogne Boys de 1992 à 1995, en charge de la coordination des 6 numéros de Clameur de 1993 à 1995 ainsi que des photos des parcages parisiens lors des matches à l’extérieur. Il raconte à CulturePSG la gestion de ce fanzine mythique.

Quel est ton rapport au PSG avant de devenir ultra ?

« Je découvre le Parc des Princes avec mon père en janvier 1980, j’ai 9 ans, le PSG de (João) Alves, Fernandez, Boubacar et Bathenay affronte l’AS Monaco. Le stade est plein, il y a une ambiance que je n’avais jamais vue ailleurs. Ça va me marquer. Mon père voit que j’apprécie et donc m’y emmène ensuite régulièrement, plutôt dans les tribunes familiales. Et puis au tournant des années 1990, je commence à aller au Parc avec des potes, mais au Kop de Boulogne. » 

Pourquoi rentres-tu chez les Boulogne Boys ?

« Je m’engage en 1992 un peu par hasard. Le KOB m'impressionne, de par son agitation mais aussi et surtout parce que la tribune est toujours derrière son équipe, qu’elle ne lâche rien. Et puis il y a les tifos, les chants… Mais je n’avais jamais imaginé me retrouver là avant ça ! À l'époque, Rouquemoute reprend le groupe en main. il y a une grosse interrogation sur son avenir. J’apprends qu’il y a un problème de trésorerie, "le président s’est barré avec la caisse", me dit-on. Rouquemoute est un pote de fac, il m'embarque dans l’aventure, je suis le dernier arrivé d’une bande qui ne va plus se quitter pendant plusieurs mois... » 

Comment est-on amené à prendre en charge un fanzine comme Clameur ?

« On élabore un plan de bataille, lancement d’un tee-shirt, d’une écharpe... Mais comment payer tout ça avec des caisses vides ? »

« On était dans une période de transition, comme il y en a eu plein dans l’histoire des Boys. Quand le changement de direction est officialisé, on organise une réunion dans une salle que j’avais trouvée rue Dagorno dans le XIIe arrondissement. On est 8. On élabore un plan de bataille, lancement d’un tee-shirt, d’une écharpe... Mais comment payer tout ça avec des caisses vides ? Et même faire la carte de membre du groupe ? Alors chacun va mettre au pot, selon ses moyens, avec promesse de remboursement - c’est écrit dans le PV de la séance. Les tâches sont tellement balaises que les autres me disent « Toi, tu vas t’occuper de Clameur ». A l’époque il s’agissait surtout de trouver les meilleurs plans pour que l’impression nous coûte le moins cher possible et qu’on republie le plus vite possible. »   

Que fais-tu concrètement dans ce fanzine ? 

« J’y arrive au numéro 3, mais je commence à m’en occuper surtout à partir du numéro 4, qui sort en juin 1993, et je reste jusqu’au numéro 9 (celui de décembre 1995). Mes tâches sont de trouver un rubriquage, de rassembler tous les textes, d’écrire des articles, de bosser avec Cyril, le dessinateur, et avec Rouquemoute, en charge de la maquette globale, et enfin de m’occuper de l’impression. » 

Que trouve-t-on dans Clameur quand tu en fais partie ?

« On avait plusieurs pseudos chacun pour signer les articles, ça donnait l’impression qu’on était plein »

« Plusieurs rubriques sont récurrentes, comme les déplacements, des comptes rendus de nos tifos… On avait plusieurs pseudos chacun pour signer les articles, ça donnait l’impression qu’on était plein. Et surtout, en fonction du pseudo, on prenait un ton différent. On avait aussi une rubrique sur l'actualité des groupes ultras à l’étranger, qui était tenue par Olivier [@olivierlaval27 sur Twitter, N.D.L.R.]. Lui, c’est « the » personnage. Rouquemoute, c’est le fédérateur, mais Olivier, c’est la méga tête pensante du groupe, notamment par sa culture du mouvement ultra italien. Et il y avait aussi Basile qui écrivait des papiers, également une tête. » 

Quelle est la ligne éditoriale ? 

« Il y avait un esprit de rivalité chez moi entre Clameur et le mag officiel. On voulait un fanzine "identitaire", lu et partagé »

« Aucune de clairement définie. Ça doit raconter la vie du groupe ou des autres groupes, des déplacements, de ce qui nous horripile ou ce qui nous plaît. Et, à titre perso, j’avais une petite animosité contre PSG Mag (le magazine officiel de l'époque, N.D.L.R.), notamment leur absence de mise en avant de l’histoire, du logo traditionnel, de leurs interviews surfaites aussi…On voulait créer une contre-culture de ce que Canal voulait mettre en place à l’époque. Il y avait un esprit de rivalité chez moi entre Clameur et le mag officiel. On voulait un fanzine « identitaire », lu et partagé. » 

C’est quoi le quotidien d’une équipe qui s’occupe d’un fanzine ? 

« Le côté marrant, c’est que c’était une entreprise artisanale mais sept jours sur sept. Quand je suis arrivé aux Boys, je ne pensais pas qu’on allait vivre ensemble quasi quotidiennement tout le temps. Mais entre Clameur, les déplacements, les tifos… C’est ce qui s’est passé. Et c’était sympa ! Notre QG, c’était le Quick de République [depuis devenu un Burger King, N.D.L.R.]. Pourquoi ici ? Ce n’était pas parce qu’on aimait manger des burgers ou des big fish, ou parce que la place était un symbole, mais tout simplement parce qu’on pouvait se barrer chez soi plus rapidement. C’était le faisceau du métro : Olivier et moi sur la ligne 8, Rouquemoute et un autre vers gare de Nord, d’autres encore vers Levallois… On se mettait à la salle à l’étage, on finissait de bouffer, on débarrassait la table, et on commençait à travailler, à recoller, à faire et refaire la maquette. Le noyau dur, c’était Rouquemoute, Olivier, Cyril et moi. Et les autres s'agrégeaient. C’était artisanal et on réalisait Clameur quasi en flux tendu. C’était à la fois génial et très étonnant. » 

On est dans la première moitié des années 1990, à une époque où écrire et imprimer n’est pas aussi facile qu’aujourd’hui… 

« Évidemment ! A ce moment-là, on n’a pas les logiciels de traitement de texte d’aujourd’hui. On écrit des textes qu’on va coller et imprimer comme ça. En théorie, c’est digne des exposés pourris qu’on faisait à l’école ! Mais on a un bol inouï : Rouquemoute, connu pour être un sanguin dans la vie, est un as du collage. Il colle au millimètre près, il est parfait ! Je n’ai jamais vu ça. On allait chez lui, dans son salon ou sa piaule à l’étage, et on faisait la maquette. Et quand on n’avait pas de temps, il emportait le sac chez lui pour tout faire. » 

Et on imagine qu’avec le problème d’argent, ce n’est pas facile d’imprimer… 

« Comme on n’a pas un rond au début, il faut trouver comment imprimer pour pas trop cher. J’en trouve un, toujours dans le XIIe arrondissement, à l’angle des rues Picpus et du docteur Goujeon. Il y avait un gars qui aimait bien ce qu’on faisait, c’est pour ça que j’avais pu négocier le prix. Mais après, honnêtement, j’ai payé une grosse partie de l’impression des 4e et 5e numéros. C’était mon obole au groupe ! Mais ça a tellement bien marché qu’à partir du 6e, on a suffisamment d’argent pour sortir du système D et faire une impression traditionnelle. C’était déjà une victoire. » 

En effet, ça a dû bien marcher alors… 

« Le numéro 4 marche d’emblée super bien. On l’avait édité à 1 700 exemplaires, il est bouffé, on se fait même engueuler ! »

« On se posait plein de questions… Est-ce que ça allait intéresser ? Était-on à côté de la plaque par rapport aux gars en tribunes ? Il y avait des supporters très exigeants à Boulogne. Mais le numéro 4 marche d’emblée super bien. On l’avait édité à 1 700 exemplaires, il est bouffé, on se fait même engueuler ! Du coup on en a réimprimé 500. Et le numéro 5, pareil, alors qu’on en avait édité 2 500. On n’arrive pas à suivre en impression ! Mais, à l’imprimerie, c’était une presta en loucedé, entre deux autres prestas officielles, donc c’est dur de réimprimer. L’idée c’était d’être à l’équilibre et, si on faisait suffisamment de bénéfices, de pouvoir payer l'impression en bonne et due forme. Et à partir du 6, ça a tellement correspondu à l’attente qu’on a pu le faire… » 

Combien coûtait Clameur ? 

« On a toujours laissé Clameur au même prix, 10 francs [1.5 euro pour les plus jeunes de nos lecteurs, N.D.L.R.]. Mais quand des mecs venaient et disaient, « désolé, je n’ai que 5 », on le vendait quand même car l’idée c’était de la diffuser au maximum. » 

Clameur était un magazine en couleur. Quelle place avaient les photos ?

« J’étais aussi en charge de faire les photos des tifos de nos parcages lors des matches à l’extérieur. Je suis celui qui quitte notre partie de tribune, pour aller en latérales ou dans celles des ultras adverses. Je shoote et on est ensuite amené à choisir la photo qui sera mise en vente à la table de la tribune, celle qu’on choisira pour Clameur. Rouquemoute était également très méticuleux, sous ses apparences. On discutait s’il fallait utiliser des pellicules de 200, 400 ou 800 asa [une norme déterminant la sensibilité d’une pellicule, N.D.L.R.], quel zoom utiliser… Mais je n’étais pas convaincu de mettre des photos de tifo en une. C’était redondant. Ça dévoyait un peu l’esprit des fanzines, ça faisait Supmag bis. » 

Par quoi les avez-vous remplacées ?

« En bas des pages de Clameur par exemple, il y a le dogue des Boys qui bougeait quand tu feuilletais les pages, comme un dessin animé »

« Je propose de mettre du dessin. Et le bol qu’on a, c’est que Cyril, qui est dans le groupe, est un dessinateur hors du commun. En bas des pages de Clameur par exemple, il y a le dogue des Boys qui bougeait quand tu feuilletais les pages, comme un dessin animé. Personne ne l’avait remarqué au début, mais après c’est devenu un vrai truc identitaire, avec la gueule du dogue qu’on aime, patibulaire… Mais je propose de ne pas lui faire faire uniquement les dessins en pages intérieures mais aussi la une. Et à partir du numéro 6, Clameur fait du dessin en Une - l’une des plus belles pour moi. On assume alors encore plus notre côté fanzine. » 

Le mouvement ultra et le monde des tribunes en général sont poreux, on aime apporter sa propre touche mais aussi regarder ce qui se fait ailleurs. Vous vous êtes inspirés d’autres fanzines pour Clameur ?

« Je n’en ai pas de souvenir, pas sur les fanzines de tribunes en tout cas, contrairement à ce qui pouvait se passer pour le matos (logo, écharpes, objets…). Mais, personnellement, les seules références que j’avais, c’était plutôt des fanzines culturels. Et le dessin en première page, c’est parce que je l’avais vu dans ce type de fanzines, je ne sais plus où mais ce n’est pas né intuitivement en tout cas. J’étais très branché sur la typo aussi, j’avais envie de travailler sur ça. » 

Revenons au numéro 4, qui a dû être fait dans des conditions vraiment particulières et avec une certaine pression, tu disais, par rapport aux autres membres de la tribune… 

« Les gars ont cru que c’était en clin d’œil aux trois premiers numéros, lorsque Clameur était écrit de traviole. Mais c’est juste que la machine a bougé à l’impression ! »

« C’est celui de la renaissance, on l’a vraiment fait à l’arrache. On finit de coller la maquette au Quick de République, toujours. Et il y a une partie où le titre « L’Histoire continue » de Clameur va être différent dans sa forme, et il y aura deux versions. Et une partie des supporters vont acheter avec le titre en tout droit et l’autre en traviole. Les gars ont cru que c’était en clin d’œil aux trois premiers numéros, lorsque Clameur était écrit de traviole. Mais c’est juste que la machine a bougé à l’impression ! On flippait un peu mais, en fait, certains sont même venus échanger le « tout droit » pour celui en traviole. Le raté est devenu l’objet qu’on veut chercher. Et aujourd’hui, c’est le zine particulier. » 

Le n°32 de Clameur, daté du printemps 2007 :

Il y a eu d’autres ratés comme ça ?

« On était souvent à l’arrache. On avait X pages, donc il fallait remplir, et pas avec un énième dessin qui montrerait qu’on n’avait rien à écrire. Lors du 5e ou 6e numéro, il manquait un papier. Une interview de Bernard Pivot, que j’aime bien par ailleurs, dans le magazine du PSG, était ridicule et je me suis dit que je pouvais l’allumer. Rouquemoute me dit de la faire, mais je ne fais relire à personne car on est trop à la bourre. Je me demande après coup si on ne va pas me défoncer dans la tribune pour cet article… Quand on part du Quick avec la ligne 9 du métro et qu’on prend le chemin du Parc avec les exemplaires fraîchement imprimés, tout le monde bouquine le numéro, et tour à tour ça éclate de rire pour cet article. Dans la tribune aussi. Et même au sein du PSG, certains ont rigolé. Ouf... » 

Ça veut dire quoi ce « Sport a dic » en Une ?

« Dans les trois premiers numéros, ça parlait de revue bimestrielle, mais c’était déjà plus le cas ! Et j’ai proposé de mettre Sport Addict, un jeu de mot avec « sporadique », pour assumer le côté un peu à l’arrache. Je dis ça à Rouquemoute mais je ne sais pas pourquoi, il écrit Sport a dic, ce qui ne veut rien dire ! Et des numéros 4 au 9, on aura ça sur la Une. Les deux gars de Supmag à Boulogne ou le gars du département supporter se sont marrés lorsqu’ils ont vu ça lors du 4e numéro, et comme ça n’a choqué personne, on l’a gardé. Alors que, je le répète, cela ne veut vraiment rien dire ! » 

Damien Dole et Philippe Goguet

NB : Merci à Zines de France pour les couvertures du Clameur qui sont à retrouver, avec celles de tous les fanzines français ou presque, sur leur site.

Tous nos articles à propos de « Rouge et Bleu »  (aux éditions Marabout) sont listés ci-dessous :

Pour rappel, ce livre de 256 pages illustré par plus de 300 photos et 60 témoignages est disponible en précommande sur les liens suivants :

 


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