Légende du Paris Saint-Germain qu'il a connu comme joueur (1978-1986), puis entraîneur (1994-1996, 2000-2003), Luis Fernandez prend aujourd’hui du plaisir dans son rôle de consultant pour la chaine BeIN Sports. Mais c'est exceptionnellement sous les couleurs de M6 qu'il sera présent à Munich pour assister, samedi, à PSG-Inter. Il a accepté d'échanger avec nous sur cette finale de la Ligue des Champions, sur le PSG d'aujourd'hui et d'hier, en revenant bien entendu sur son sacre européen de 1996 en Coupe des Coupes.
Qu'est-ce qui vous plaît particulièrement dans le PSG d'aujourd'hui ?
« C'est une équipe qui a pour moi des valeurs qui incarnent le sport collectif. Les valeurs du collectif, c'est un état d'esprit remarquable. Une équipe qui donne le maximum, qui fait le maximum, qui court ensemble, qui joue ensemble. J'ai toujours aimé ce sport. Ce n'est pas un sport individuel, c'est un sport collectif. Les grands joueurs qui sont arrivés ont pu réussir parce qu'il y avait un collectif autour d'eux et qu'eux-même ont une attitude qui était bonne. Et tout le monde répondait présent. Quand on voit cette équipe, elle joue bien parce qu'elle joue ensemble. Il n'y a pas que 11 joueurs, il y en a 18 ou 19. L'entraîneur fait une rotation, un turnover, ce que j'ai toujours apprécié, pour que tout le monde puisse se sentir important. C'est ce qui fait la force de ce groupe.
Quel regard portez-vous sur la réussite de Luis Enrique qui s'est retrouvé sous le feu nourri des critiques plus tôt dans la saison ?
Depuis que je suis consultant, pour avoir été un ancien joueur de football et un entraîneur, j'ai une certaine retenue vis-à-vis des entraîneurs. Je dirais que Luis Enrique a une équipe autour de lui qui est remarquable. Pas une équipe de joueurs de football, mais un staff qui travaille à ses côtés et également un staff médical. Parce que ça aussi, c'est une équipe hors du terrain. On a un entraîneur qui met en place une animation, qui met en place un système. Et des joueurs qui aiment l'entraîneur, qui aiment l'animation, qui aiment le système. Et ils aiment aussi quand il y a ce turnover. Et ça, c'est important.

On n'est pas seul quand on est entraîneur. Je l'ai été. On n'est pas seul. Parce que la victoire ce n'est pas celle de l'entraîneur, c'est d'abord la victoire de ses joueurs qui sont sur le terrain et puis des joueurs qui l'accompagnent. Ça fait un tout. Et s'ils se mettent ensemble à collaborer, et c'est ce qu'ils font aujourd'hui, même avec Luis Campos... On voit que la gestion sportive du Paris Saint-Germain, c'est remarquable. Les joueurs qui sont arrivés sont bien. Tout le monde est bien dans ce groupe où chacun donne son maximum.
Est-ce que vous enviez les pleins pouvoirs donnés à Luis Enrique pour gérer son groupe comme il l'entend, quand vous repensez à votre gestion parfois compliquée d'une star comme Ronaldinho ?
Ce que je peux vous dire, tout simplement, c'est qu'à mon époque, il n'y avait pas de président ou directeur sportif qui était censé prendre des décisions. J'étais seul avec mon groupe. Maintenant. j'ai entraîné des grands joueurs et j'ai joué avec des grands joueurs, que ce soit au Paris Saint-Germain ou en équipe de France. Parmi ceux que j'ai que j'ai pu entraîner, ma plus belle réussite, ça a été un garçon comme George Weah qui est devenu Ballon d'Or juste après son départ (ndlr : pour l'AC Milan en 1995). Concernant Ronaldinho, la première année (saison 2001/2002), il est devenu champion du monde avec le Brésil aussi grâce à ses coéquipiers au Paris Saint-Germain et au staff dans lequel je travaillais. Et puis, la deuxième année, on attendait qu'il nous redonne en retour... vis-à-vis des supporters, vis-à-vis de ses coéquipiers. vis-à-vis du staff. Bon, il avait choisi un autre chemin, celui de rester une saison de plus et de partir après à Barcelone. Mais Ronaldinho, j'ai toujours eu de l'admiration pour lui. La première année, c'était exceptionnel.
Ronaldinho et Luis Fernandez lors de la finale de Coupe de France perdue contre Auxerre en 2003 (0-1)
C'est pour ça que quand les grands joueurs se mettent au service du collectif, ils font briller tout le monde. Et moi, c'est une particularité, c'est que ces grands joueurs que j'ai entraînés ou avec qui j'ai joué, ils ont toujours fait en sorte de préserver le groupe. Un groupe, c'est un collectif. Et dans ce groupe, quand il y a des grands joueurs, on les regarde et on a envie de les aider, on a envie de leur apporter, de leur ramener les ballons. Et ces grands joueurs, ceux que j'ai cités – Ronaldinho la première année et George Weah – ou Raí aussi ou Dahleb ou Susic, ces joueurs-là, ils étaient bon pour le collectif. Et dans le collectif, ils étaient remarquables. C'est tout. Parce qu'on a besoin de ces grands joueurs pour gagner des matches.
« Sans Mbappé, le PSG a trouvé un groupe avec un état d’esprit remarquable qui peut gagner la Ligue des Champions »
Aujourd'hui, Kylian Mbappé est parti. Bon, il ne faut pas non plus l'oublier, il a quand même marqué de son empreinte son passage au Paris Saint-Germain. Après, il aurait aimé gagner cette Ligue des champions et il n'est pas passé loin en ayant perdu une finale (contre le Bayern en 2020). Maintenant, Mbappé est parti au Real Madrid. Et sans lui, le Paris Saint-Germain a trouvé un groupe avec des garçons qui ont un état d'esprit remarquable, une force qui fait que ce groupe peut gagner cette Ligue des champions. C'est un Paris Saint-Germain avec lequel je prends vraiment du plaisir. Quand je les vois jouer, c'est impressionnant ce qu'ils font sur le terrain.
Comment abordez-vous cette finale de Ligue des Champions PSG-Inter ?
Moi, je le vis de mon côté, parce que quand on a grandi, quand on a joué, quand on a été entraîneur au Paris Saint-Germain, quand on a eu l'occasion de gagner ses premiers titres sous l'ère Francis Borelli, et je pense aussi à Pierre Alonzo, qui était mon adjoint en tant qu'entraîneur... Je dirais qu'il faut toujours penser à ces personnes qui nous ont quittés, qui auraient aimé être là pour voir la réussite de ce Paris Saint-Germain, pour aller voir cette finale.
Pour en revenir au match, il ne faut surtout pas prendre de haut cette équipe de l'Inter. J'étais à Istanbul pour la finale City-Inter et je peux vous dire qu'il y aura huit joueurs qui étaient là-bas, il y a deux ans, qui sont seront présents samedi. Il ne faut surtout pas les sous-estimer, au contraire, il faut les respecter. Et puis le défaut, c'est qu'on a peut-être un petit manque sur les coups de pied arrêtés défensifs, sur les corners notamment. Il faudra éviter de faire des fautes, il faudra être très discipliné sur ce genre de situation. Mais bon, j'ai une totale confiance en l'équipe. Il y aura une belle ambiance. Je suis un fan du football international, qu'il soit espagnol, qu'il soit italien, qu'il soit allemand, qu'il soit anglais, parce que je le regarde, je le suis, et en tant qu'amoureux de football, je veux que les supporters prennent du plaisir en voyant leur équipe gagner.

Un petit doute entoure la titularisation de Kvara, forfait samedi dernier, lors de la finale de la Coupe de France. Le voyez-vous débuter ?
Il faut laisser l'entraîneur faire son onze. Quelle que soit l'équipe qu'il mettra, ça sera une équipe compétitive. Kvara a été sorti (à l’échauffement face à Reims) parce qu'il a peut-être ressenti un petit problème. En tout cas, il nous montre aussi ses qualités dans un collectif, c'est un plaisir de le voir, parce qu'il a eu peut-être une petite période un peu difficile en arrivant, mais maintenant il s'est libéré complètement, il est en train de se lâcher. Et puis c'est un garçon qui connaît ses adversaires. Il a joué à Naples, il les connaît très bien ces Interistes. C'est pour ça que s'il démarre le match, ce sera avec une réelle motivation d'apporter toute sa folie pour déstabiliser cette défense, à travers ses dribbles, ses passements de jambes et puis avec cette qualité qu'il a sur son côté gauche.
Cet événement doit forcément raviver chez vous de grands souvenirs et vous ramener à votre sacre européen de 1996 en Coupe des Coupes sur le banc parisien...
« J'ai envie de voir les supporters enfin être récompensés après toutes ces années derrière l’équipe »
J'ai choisi d'aller voir cette finale de la Ligue des Champions à Munich avec M6 en compagnie de Youri Djorkaeff et Raí. On sera au bord du terrain et puis Antoine Kombouaré sera aux commentaires. Youri et Raí étaient de cette finale de 1996, et c'est des garçons que je ne suis pas prêt d'oublier, parce qu'ils ont eu un comportement exceptionnel tout au long de la saison (1995-1996). Ils ont été des gens remarquables par leur qualité dans le jeu, leur qualité sur le terrain et en dehors du terrain. Pour cette finale Ligue des Champions que l'on va la vivre au plus près, je peux vous dire que quand je vais voir ce public, cette ambiance, je vais prendre beaucoup de plaisir. Je vais être avec une certaine sensibilité, parce que j'ai envie de voir ce Paris Saint-Germain gagner, j'ai envie de voir ces supporters enfin être récompensés après toutes ces années à courir, à se déplacer pour encourager et pour voir leur équipe aller en finale et la gagner. C'est peut-être le jour J. Il faudrait que tout le monde se prépare. Moi je vais à Munich pour voir un grand match de football et que le Paris Saint-Germain en soit le vainqueur.
Sur quoi avez-vous insisté à l’époque pour aider votre équipe à répondre présent le jour J ?
On jouait contre le Rapid Vienne et je leur avais déjà certainement dit que le Rapid c'était pas au niveau de Parme ou au niveau de la Corogne qu'on avait sortis en quarts et en demies et qui étaient deux grands du championnat italien et du championnat espagnol. On allait se retrouver contre une équipe autrichienne qui était méconnue et il fallait au contraire élever son niveau et ne pas sous-estimer cet adversaire qui allait être surmotivé, remonté de nous affronter. Je leur ai dit de faire attention à ne pas tomber dans l'excès de confiance et c'est ce qu'ils ont respecté. Mais je me rappelle que c'était une bonne préparation et sur le terrain, ça s'est bien passé avec ce but de Bruno Ngotty.
La blessure de Raí en début de match ? Il sort parce que s'il prend un coup et qu'il a mal. C'était un élément important, mais il est remplacé par Dely Valdés qui est un garçon qui nous avait aussi aidés, apporté un plus dans cette campagne européenne. Il a été remarquablement bien remplacé, c'est pour ça que l'état d'esprit a été bon, très bon. Les joueurs ont accepté, ont adhéré au projet de jeu. Je jouais avec trois défenseurs, deux joueurs sur les côtés, deux milieux de terrain et puis trois attaquants. J'avais une bonne équipe, une très bonne équipe, ils ont tous été bons. Et au final, gagner cette Coupe d'Europe et fêter ça avec les supporters, avec la remontée des Champs-Elysées, c'était quelque chose de magique.
Revoyez-vous souvent le match ?
Il m'arrive de me refaire le match en long et en large, parce que c'est la victoire d'un entraîneur avec son staff et c'est la victoire d'un groupe avec des joueurs qui étaient remarquables. Ce que j'aurais bien aimé cette année-là, c'est faire le triplé. Mais pendant la deuxième partie du championnat, il y a eu des interférences, il y a eu des petits problèmes qui se sont créés dans le groupe autour des prolongations et des départs. Nous, le staff, c'est vrai qu'on n'était peu au courant de ces choses-là, parce qu'à l'époque, c'était différent. Aujourd'hui, les entraîneurs sont mieux équipés, mieux épaulés. Et pour gagner, il faut être bien accompagné.
Luis Enrique a toute son équipe autour de lui. Moi, je n'avais que Pierre Alonzo à mes côtés. Je venais de faire monter un club qui était l'AS Cannes et j'avais fini 5e du championnat avec cette équipe. Je commençais mon métier d'entraîneur. J'aurais voulu le prolonger un peu plus longtemps par la suite, mais après, quand tu vois tout ce qui se passe autour du football, je me dis que je me suis arrêté au bon moment. Après, je suis rentré dans les médias et je suis très bien comme je suis aujourd'hui.
Yannick Noah a-t-il vraiment joué un rôle clé dans la préparation mentale de cette finale comme la légende le laisse entendre ?
« J’ai dit au président que si Yannick Noah intervenait lors d’une causerie ou à l’entraînement, je m’en allais »
En réalité, on n'avait pas besoin de faire une préparation mentale. Simplement, après la demi-finale contre La Corogne, j'avais dit au président (Michel Denisot) que j'allais quitter le club, mais que les joueurs ne le savaient pas. Le président avait alors prévenu Yannick et j'avais répondu que ce serait avec plaisir qu'il vienne, parce que j'aimais beaucoup Yannick et qu’il avait quand même remporté Roland-Garros. Qu'il soit présent à l'hôtel ou le soir pour manger avec les joueurs, pour les accompagner, pas de problème. Mais il était hors de question qu'il soit là sur le terrain d'entraînement ou lors des causeries. Chacun son travail. J'ai dit au président que si jamais il intervenait dans une réunion causerie ou à l'entraînement, je quittais le centre et je m'en allais. Et peut-être qu'ils n'auraient pas pu jouer la finale s'il n'y avait plus d'entraîneur. C'est ça le "foot Fernandez", c'est les tribus.
Revenons au présent et à ce grand moment qui se profile samedi à Munich. Quel est votre pronostic pour ce PSG-Inter ?
2-1 pour le Paris Saint-Germain. Avec des buts du petit Doué et de Dembélé, parce que je l'ai défendu et que je trouvais les critiques assez dures envers lui. Ce serait amplement mérité par rapport à ce changement qu'il a eu cette année, qui a été vraiment remarquable et spectaculaire. Je voudrais qu'Ousmane Dembélé me mette un but ou un doublé, ce serait quelque chose de fantastique.
Vous évoquez la transformation d'Ousmane Dembélé en 2025. Comment l'expliquez-vous ?
Des critiques sur Ousmane Dembélé, j'ai eu l'occasion d'en faire, parce que j'ai pu le voir évoluer au Barça sur son côté droit. Et sur ses six derniers mois là-bas, il avait déjà commencé à rectifier le tir. Quand il est arrivé au Paris Saint-Germain, toujours sur son côté droit, il se montrait décisif, mais il lui en manquait toujours un peu dans la finition. En rentrant dans cette surface de réparation, peut-être qu'il ne trouvait pas la bonne position, ou il ne faisait peut-être pas le bon geste. Mais le garçon, sur le terrain, par ses prises de balles, par ses accélérations, il avait quelque chose en lui.
Et c'est là le véritable mérite de de l'entraîneur, d'avoir su lui donner un peu plus de liberté sur le terrain pour qu'il aille à gauche ou qu'il aille dans l'axe. Et ça l'a peut-être libéré. Il s'est peut-être dit « Je vais leur prouver, je vais le faire », et puis il le fait bien parce qu'il fait aussi du pressing, il harcèle l'adversaire, et ensuite, quand il reçoit le ballon, il peut accélérer, il peut frapper, il peut marquer. Moi, je lui dis « bravo » à Ousmane, parce que c'est un garçon qui a toujours des attitudes positives par rapport au collectif, et ça je lui rendrai toujours, même s'il peut encore avoir du déchet. Parce que c'est ma façon de penser.
Luis Fernandez donnant à Ousmane Dembélé sa médaille de vainqueur du Trophée des Champions 2024 (2-1 contre Toulouse)
Le voyez-vous remporter le Ballon d'Or en cas de succès en Ligue des Champions ?
J’essaie de regarder les choses objectivement et Ousmane Dembélé, c'est six mois (de très très haut niveau) cette saison. Pour le Ballon d'Or, je vois plus Lamine Yamal pour ce qu'il est en train de devenir. Moi, je voudrais que le PSG gagne cette Ligue des Champions, que Ousmane marque en finale et que Lamine Yamal prenne le Ballon d'Or, parce que c'est le futur. C'est un jeune qui monte, qui grimpe, qui a un bon état d'esprit et des qualités hors norme. Et après, ça pourrait donner des idées à Désiré Doué et à d'autres pépites. De se dire que si Yamal l'a fait, ils peuvent le faire aussi. Et qu'en travaillant et en restant sérieux, c'est comme ça qu'on peut aller très loin dans le football. »
Propos recueillis par Numéro 10